foetus

Placenta

4 janvier 2007

Par Benny CASSUTO



On accorde rarement toute son importance au placenta dans l’élaboration d’un être vivant pour comprendre plus intimement son fonctionnement. Contrairement aux idées reçues, cet organe d’élaboration n’est pas une production maternelle, un bout de matrice, mais le “toit” dont se dote le fœtus pour croître à son aise durant les 9 mois de la gestation.
Il est très important de retenir cette idée : le placenta fait partie du fœtus.

L’être en gestation, c’est le fœtus et son placenta c’est à dire le bébé, le cordon, la “galette”, le liquide amniotique et les enveloppes. Ce qui pousse à l’avant et à l’extérieur de ce qu’on appelle communément le corps humain, fait aussi partie de ce corps. C’est à l’extérieur et ça se ramifie à l’intérieur. À l’intérieur de l’œuf, un être singulier se constitue, différent par les rythmes et par le sang du milieu maternel. Grâce au placenta, le fœtus se construit dans sa mère mais pas de sa mère, en tout cas pas uniquement. C’est un tissu de transaction par lequel des lois cosmiques naturelles fondent l’être en construction qui établit ainsi un dialogue singulier avec la création. En réponse à la magie de l’Amour, de la rencontre entre un homme et une femme, un être descend du “sans forme” vers la “forme”, du Ciel vers la Terre. Cette descente, cette prise de forme et de poids, c’est à l’abri d’un placenta que cela se passe, dans le secret d’une transformation.

En chinois, le temps de la grossesse se dit LING . On dit que le Ling de l’éléphant est de 21 mois, celui du cheval de 11 mois, celui des poules de quelques jours, le Ling de l’humain étant de 10 mois lunaires. Ce caractère, qui est un de ceux qui signifie « l’esprit” en chinois, représente étymologiquement une cérémonie rituelle où des hommes se réunissent pour appeler la pluie en chantant… et celle-ci se met à tomber. L’esprit a répondu au chant qui démontre par là son efficacité si le rituel a été accompli de façon appropriée. L’incarnation se représente donc dans cette langue comme le ruissellement dans un corps de quelque chose de mystérieux qu’on appelle l’esprit, en réponse au rituel amoureux.
Cette représentation poétique est une véritable respiration qui fait descendre du Ciel dans le corps.

La mère peut être soulagée, elle ne porte pas toute la responsabilité de la gestation, une matrice intermédiaire œuvre en elle et à son insu.

Je me souviens de cette remarque faite par un père à la naissance de son enfant. Au moment de la rupture de la poche des eaux, la forte odeur qui s’est alors dégagée lui a évoqué celle du sperme. Effectivement, pourquoi le placenta ne serait-il pas la présence du père entre la mère et l’enfant? J’irai plus loin encore en disant qu’à l’instar de l’énergie de l’homme, qui exprime sa fertilité dans le corps de l’autre et non dans le sien, le placenta représente peut-être l’impératif naturel qu’a la mère de construire l’enfant dans le corps d’un Autre plus vaste dont le placenta serait la forme naturelle durant la gestation.
Il me semble que chacun gagnerait en liberté et en tranquillité à penser les événements de cette façon. La mère verrait sa charge allégée et ne serait plus contrainte à la perfection puisque même dans son ventre, l’enfant, en fait, se construirait dans le corps d’un Autre tutélaire.
Le père pourrait imaginer sa responsabilité dans l’élaboration du placenta, cette structure intermédiaire entre la mère et l’enfant et imaginer, pourquoi pas, un rituel au moment de la délivrance pour célébrer la transformation de ce placenta aquatique en placenta aérien, c’est à dire pour confirmer la pérennité de la fonction au delà de la forme qui semble être le sujet même de la fonction placentaire. Dans de nombreuses cultures, avant même de découvrir par l’embryologie que le placenta était une production du fœtus, on enterrait et on enterre toujours cet organe en un lieu servant de racine et de ressourcement à la personne qui s’y est abritée durant la gestation. C’est, à mon sens, un geste essentiel pour célébrer la dimension symbolique du sujet, c’est-à-dire pour l’introduire à son nouveau placenta désormais invisible et aérien où il sera accueilli dans le monde des représentations, du langage, de l’Amour, et des processus de pertes successives inaugurés par celle de la délivrance.

DURANT LA VIE, NE PAS OUBLIER LA FONCTION PLACENTAIRE

Un geste symbolique de cet ordre signifie que l’on proclame que le corps de l’humain qui vient de naître porte une dimension sacrée. En l’accomplissant on signale à l’enfant, le futur adulte, qu’il naît avant tout d’un mystère et qu’il n’est donc pas enfermé dans un corps familial dont on invoque trop souvent la fatalité. On accueille un autre et cet autre est abrité dans un placenta désormais invisible, signature de sa parenté avec le Ciel. C’est la première bénédiction que l’on doit à l’enfant, celle de le proclamer porteur de plus grand que lui en le confiant à cette grandeur. On active sa fibre mythologique, si indispensable à son futur bien-être, à sa santé. En effet, lorsque cette fonction n’est pas reconnue, la relation qu’on mène avec soi-même dans l’intimité prend souvent la forme d’une lutte que rien ne vient arbitrer, on se méprise ou on s’adule alors qu’on pourrait se respecter et s’incliner.
La maladie survient comme une énigme pour interrompre cette lutte, pour offrir l’opportunité au sujet de se raconter son origine autrement. Lorsqu’il n’y a plus d’intermédiaire sacré entre soi et soi, les petits symptômes et les grandes maladies prennent racine.

Faire la distinction entre l’esprit et le corps blesse profondément celui-ci en le chosifiant par déni de la nature sacrée que lui confère la fonction placentaire. Celle-ci représente l’intervalle indispensable pour qu’un humain se regarde comme un personnage singulier et non comme le produit biologique de deux corps, encore moins comme une partie du corps maternel. Cette dernière éventualité est bien souvent source de confusion car on ne peut alors symboliser clairement la différence entre les orifices digestif et sexuel. Être du même corps revient à accepter l’idée qu’on provient d’un processus digestif, sans intervention d’un autre, on a du mal à s’originer au-delà de sa mère. Cette confusion est à l’origine de bien des difficultés amoureuses et de bien des blessures que s’infligent les hommes et les femmes entre eux.

RE-ENCHANTER LA VISION DU VIVANT :

L’accession à la vie n’obéit pas au principe de la raison suffisante qui réduit cet évènement à un nombre de données physiques facilement reconnues. Dans notre société, préserver l’origine mystérieuse, mythique qui préside à l’existence d’un être, reconnaître le désir de l’individu comme un axiome de son apparition, est une tâche de plus en plus difficile. Les progrès de la science, outre leurs avantages incontestables, produisent un effet pervers qui est celui de réduire la représentation du vivant à un simple processus biologique. Cette objectivation de nos origines crée un désenchantement du cadre de la guérison.
Par guérison, il faut entendre, non seulement l’acte de soigner, mais toute situation où la personne quitte un confinement dénué ou saturé de sens (c’est la même chose), pour découvrir un espace de possibles. En pratique cela veut dire que lorsqu’on se sent enfermé dans un corps qui ne se représente plus que d’une seule façon, on entretient les conditions mêmes de sa morbidité.
L’incertitude commence avec le père, qui n’élabore pas l’enfant dans son corps. Le père est le messager d’un questionnement qu’on peut qualifier d’ontologique concernant l’incertitude. Quelles que soient ses convictions, celles-ci passent par la confiance qu’il accorde aux dires de la mère qui le proclame père. Les ressemblances peuvent toujours êtres mises sur le compte de processus mimétiques d’identification. La conviction qu’a le père concernant sa paternité se bâtit avec le temps et la relation à son enfant.

Au-delà du père, c’est de l’origine mythologique de la personne qu’il s’agit. Si le discours mythologique qui accompagne la naissance se réduit au seul discours scientifique, les ruisseaux de l’imaginaire se tarissent et les symboles se réduisent aux réalités. Cela représente une blessure par désenchantement, comme si nous ne provenions que de ce dont nous sommes certains, comme si nous ne pouvions croire qu’à cela. Par réduction, cela revient à ne s’imaginer que comme fruit du corps maternel ou, ce qui revient au même, comme résultat de la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovule, simples cellules sexuelles.
Le désespoir n’est pas loin avec son cortège de peurs, d’angoisses, de toxicomanies et de tranquillisants.
Ré-enchanter la guérison c’est restaurer la place de l’espoir même si notre savoir ne nous y invite pas. Pour cela, il nous faut faire place à une autre forme de pensée, dont la logique n’est pas continue comme pour ce qu’on nomme habituellement la pensée. Il nous faut littéralement lutter contre l’hégémonie d’une représentation unique qui nous coupe du monde de notre origine en nous en attribuant une d’office.
Dans le monde matérialiste, on se fait attribuer un matricule qui vise à expulser la poésie hors du sujet.
Le climat de guérison, c’est la possibilité laissée à cette poésie de regagner le cœur de la personne afin de transformer le regard qu’elle porte sur elle-même et sur l’autre, sur l’autre en elle et sur elle dans l’autre.