Le QIGONG
Par Benny CASSUTO
Le Qigong, prononcer « Tchi Kong », est une pratique corporelle traditionnelle chinoise qui vise à favoriser la circulation, la plénitude et les transformations de ce que les chinois appellent le Qi (prononcer « tchi ») et que nous pourrions traduire par différents termes parmi lesquels la vitalité, le souffle ou l’énergie, voire le désir.
Pour nourrir la vitalité, le Qigong propose une multitude d’exercices corporels qui vont de l’immobilité au mouvement, toujours dans un esprit méditatif, et qui associent la conscience simultanée de la respiration, de la sensation et du mouvement.
Le nombre des formes de Qigong est gigantesque car beaucoup de chinois ont inventé beaucoup de formes à travers les siècles et encore plus maintenant.
Mais l’esprit du Qigong est l’essence de tous ces exercices : c’est l’esprit du Vide. L’esprit du non-agir. Tout doit se faire sans effort, comme l’eau qui suit sa pente naturelle.
C’est là que la difficulté commence.
Nourrir la santé, la vitalité, la longévité au sens taoïste du terme, dans la tradition chinoise, nous demande de nous rapprocher de la voie naturelle. Cette voie, les chinois l’appellent le Dao (Tao).
Dans la vision chinoise traditionnelle, l’homme est représenté au sein de son environnement et en lien avec lui.
Par environnement, on entend le fait qu’il est plongé dans l’univers, les pieds sur terre et la tête vers le ciel, qu’il se nourrit de la terre, qu’il respire le ciel, qu’il est issu d’une histoire, d’une lignée, qu’il a des émotions qu’il partage depuis la naissance avec les autre humains. Tout cela fait son Qi, sa vitalité, son dynamisme. Ce dynamisme circule dans notre corps, nous le sentons bien, et se manifeste dans nos postures, nos mouvements.
Lorsque le corps est tranquille, la circulation du Qi se déroule suivant son « mandat », son cycle naturel. Pour que le corps soit tranquille, l’esprit doit être tranquille et vice-versa. Le Qigong, par ses mouvements et sa méditation, vise la tranquillité, l’équilibre. Ce qui implique que le centre de gravité s’abaisse.
La conscience de la base, du bassin, de la région des reins et du sexe contribue à ancrer la conscience corporelle, ce qui permet un premier détachement vis à vis des émotions qui, elles, siègent plus haut, dans la poitrine ou vis à vis de la pensée qui occupe notre tête.
Ramener la conscience à la base crée du vide, dans la poitrine comme dans la tête, et permet de réagir et de penser mieux, c’est à dire de façon plus simple et détendue. En un mot, plus claire. Dans l’esprit de la médecine chinoise, cela favorise la santé.
Les 2 phrases récurrentes qui scandent la pratique du Qigong sont :
-Vider le haut et remplir le bas.
-Accueillir le nouveau et rejeter l’ancien.
En général c’est par le haut qu’on accueille le nouveau, comme quand on mange, et par le bas qu’on rejette l’ancien. C’est pourquoi ces deux phrases se complètent et accompagnent constamment la pratique.
Il s’agit de préserver de l’espace vide en haut pour constamment accueillir la nouveauté de chaque instant et de laisser s’écouler les sensations vers le bassin pour ancrer la perception.
Pour cela de nombreux exercices sont proposés. Les plus répandus, à travers toutes les formes de pratique, sont :
-La méditation, assis, debout ou encore allongé.
-Le jeu des cinq animaux de Hua Tuo.
-Les six sons thérapeutiques.
1) La méditation :
C’est l’essence du Qigong. Tout exercice est connecté à la méditation c’est-à-dire au silence et à l’apaisement de la pensée. Elle se pratique le plus souvent en position assise, en tailleur, en lotus, en demi-lotus, ou bien simplement assis sur une chaise. En fait il s’agit avant tout de trouver une position confortable et qui ne blesse pas. Une posture dans laquelle on pourra concentrer son attention sur la surface de contact entre le périnée et le plan horizontal, que ce soit le sol ou une chaise. Lorsque l’assise est confortable, la pensée et la respiration peuvent se calmer. Les yeux sont entr’ouverts, la pointe de la langue touche le palais. On dit que les yeux « pointent » le nez et que le nez pointe le cœur. La respiration s’affine, l’attention se porte autant vers l’intérieur que vers l’extérieur, on a conscience de la droite et de la gauche, du haut et du bas, de l’avant et de l’arrière.
Cela signifie que notre conscience ne privilégie rien en particulier mais tente de s’ouvrir à une globalité, comme quand on observe un paysage dans son ensemble et non pas un point ou un objet en particulier.
Cet état de conscience paisible est déjà tout un programme en soi. Il ne faut pas être pressé, on a la vie devant soi pour cela.
Dans la méditation taoïste, une fois le souffle et la pensée au calme, l’intention sera d’affiner encore plus le souffle afin de mobiliser l’énergie du bassin pour la faire circuler selon une boucle qu’il serait trop compliqué de décrire ici, mais qui rapproche de ce qu’on appelle la respiration fœtale, une respiration très interne qui suit la colonne vertébrale en montant et qui redescend le long de la ligne médiane à l’avant du corps. Cette respiration s’appelle la « petite révolution céleste » et est l’aboutissement de la méditation taoïste.
Pourquoi la respiration fœtale ? Parce que le Qigong, traditionnellement, cherche à renouer avec la mémoire corporelle du fœtus et du nouveau-né en ce qu’elle nous relie au mouvement naturel, spontané, de la vie.
La méditation peut également se pratiquer debout et, pour cela, le Qigong propose un certain nombre de postures dont les plus connues sont la posture de l’Arbre et la posture de l’homme libre ou tranquille.
La posture de l’arbre se pratique debout, les pieds parallèles écartés de la largeur des épaules, les bras arrondis à hauteur de la poitrine comme s’ils entouraient le tronc d’un arbre, les paumes tournées vers soi. Les épaules sont détendues, les coudes plus bas que les épaules et les poignets à peu près à la hauteur des épaules. La colonne vertébrale, comme dans la méditation assise, est détendue sans être affaissée, le bassin, les hanches, les genoux et les chevilles sont relâchés, légèrement fléchis. Là encore, on détend le haut du corps et on concentre l’attention vers le bassin et les appuis au sol. La respiration est paisible, reliée à la base du corps, les yeux sont entr’ouverts et la pointe de la langue touche le palais.
On pratique cette posture, progressivement, jusqu’à la maintenir environ 30 minutes.
Pour la posture de l’homme libre ou tranquille, le principe est le même sinon que les bras sont relâchés le long du corps sans être plaqués contre les flancs, légèrement arrondis, comme soulevés par la brise.
La grande difficulté de ces postures est de rester détendu, paisible, sans effort c’est-à-dire en relâchant constamment les tensions vers le bas, un peu comme une rosée qui tomberait doucement et constamment. On a tendance à s’impatienter, à se focaliser sur les tensions que génère une telle posture pendant un temps qui paraît toujours long au début. C’est la pratique régulière qui permet de prendre goût à la sensation corporelle produite par cet exercice.
2) Le Jeu des Cinq Animaux :
Ces exercices ont été inventés par un médecin célèbre, Hua Tuo, qui a vécu entre le 2ème et le 3ème siècle après JC.
Son propos était de concourir à la santé de ses patients. La méthode est à la fois interne, médicale et externe, martiale, car il disait volontiers qu’être en bonne santé ne suffisait pas si on se faisait attaquer par un adversaire malveillant. Mais il disait aussi qu’être bon au combat ne suffisait pas pour repousser les maladies. On peut être attaqué à l’extérieur comme à l’intérieur. C’est pourquoi ces formes animales nourrissent la vitalité et donnent aussi un équilibre et une capacité martiale pour protéger le corps des agressions, qu’elles viennent de l’extérieur ou de l’intérieur.
Il disait aussi que « le corps humain a naturellement besoin de travailler mais qu’il ne faut pas l’épuiser. Néanmoins, pratiquer les exercices jusqu’à la première sueur fait circuler le sang librement dans les veines et la maladie ne peut se fixer. Ainsi le corps est comme une porte montée sur ses gonds qui, lorsqu’elle est utilisée régulièrement, ne rouille jamais ».
Les cinq animaux sont traditionnellement : le Tigre, le Cerf, l’Ours, le Singe et l’Oiseau.
Le Cerf est parfois remplacé par le Serpent, l’Oiseau est souvent la Grue, le Héron.
Les exercices consistent en une sorte de mime de ces cinq Animaux, souvent en marche, en s’imprégnant de l’esprit de l’animal.
Par exemple l’élégance féroce du Tigre, sa vision au loin, ses tendons prêts à bondir.
La bonhommie souple trompeuse de l’Ours, sa sauvagerie et sa capacité à se suspendre. L’espièglerie et l’agitation du Singe, la grâce et l’équilibre du Héron qui ne manquera pas d’être un peu hautain, la froideur et la reptation du Serpent, la force et la sérénité du Cerf ainsi que sa force sexuelle.
Incarner ces animaux nous aide à vider la poitrine de l’émotion qui y siège afin de lui donner un territoire corporel plus vaste. On pourrait penser que le Tigre est en colère mais il n’en est rien, c’est dans sa nature, il « est » la puissance de ce qui peut jaillir et tuer mais il ne blesse pas son cœur avec une émotion qui n’aurait pu s’exprimer à sa juste mesure.
Il en va de même pour chacun des animaux. Ils nous aident à ne pas nous blesser dans nos émotions et à garder notre calme et notre vigilance en situation de danger.
3) Les six sons thérapeutiques :
Ils visent à réguler la circulation de l’énergie dans les cinq organes-fonctions : les reins, le foie, le cœur, le rate-pancréas et les poumons. Le sixième son résonnant dans le système du Triple Réchauffeur qui est une structure énergétique reliant les trois niveaux organiques : la poitrine, comme un nuage, la ceinture abdominale, comme un marécage, et le bassin, comme un canal. Le Triple Réchauffeur régule la montée des nuages et la descente des pluies, les mouvements des souffles associés aux liquides.
Le son « xu » tonifie le foie et la vésicule biliaire, le son « ke » tonifie le cœur et l’intestin grêle, le son « hu » tonifie la rate-pancréas et l’estomac, le son « si », tonifie les poumons et le gros intestin, le son « tchui » tonifie les reins et la vessie et le son « xi » tonifie le triple réchauffeur.
Il est difficile de rendre un son sur une page, il faut les entendre, les exécuter en faisant vibrer le son dans le corps, bruyamment ou silencieusement suivant les enseignements.
Ces six sons sont un outil précieux et puissant toujours associés à des mouvements précis mais, là encore, différents suivants les écoles.
En conclusion, le Qigong est une discipline très ancienne qui connaît actuellement un essor dans le monde entier, notamment dans le monde occidental. Les mouvements proposés sont simples et nous invitent à une simplicité dont nous ne sommes plus coutumiers. C’est pourquoi cette pratique peut paraître difficile par moments : le simple est chose difficile. Le vide nécessaire au bon fonctionnement du « gond » corporel s’obtient par simplifications successives. Toujours moins d’effort, toujours plus d’énergie.
C’est le mystère du Qigong.